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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/203

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APOLOGIE POUR LE PLAGIAT.

Elle vit plutôt eu princesse qu’en femme d’un particulier, disait le prudent don Marcos au dissimulé Gamara, et elle ne considère pas que les meubles qu’elle a, mis en argent, et que cet argent joint à celui que j’ai nous peuvent faire une bonne rente que nous pourrons mettre en réserve, et, par l’industrie que Dieu m’a donnée, en faire un fonds considérable pour les enfants que Dieu nous donnera.

Don Marcos entretenait Gamara de ces discours ou de semblables, quand il se trouva devant sa porte. Gamara prit congé de lui après lui avoir donné parole que, dès le lendemain, il conclurait son mariage avec Isidore, à cause, lui dit-il, que les affaires de cette nature-là se rompaient autant par retardement que par la mort de l’une des parties.

Don Marcos embrassa son cher entremetteur, qui alla rendre compte à Isidore de l’état auquel il venait de laisser son amant. Et cependant notre amoureux écuyer tira de sa poche un bout de bougie, le piqua au bout de son épée, et, l’ayant allumé à une lampe qui brûlait devant le crucifix public d’une place voisine, non sans faire une manière d’oraison jaculatoire, pour la réussite de son mariage, il ouvrit avec un passe-partout la porte de la maison où il couchait et s’alla mettre dans son méchant lit plutôt pour songer à son amour que pour dormir.

Il se rend le lendemain chez sa future épouse et lui déclare comment il entend vivre :

— Je suis bien aise qu’on se couche de bonne heure dans ma maison et que la nuit elle soit bien fermée. Les maisons où il se trouve quelque chose ne peuvent être trop à couvert des larrons. Et pour moi, je ne me consolerai jamais si un fainéant de larron, sans autre peine que celle qu’il y a à prendre ce qu’on trouve, m’ôtait en un instant ce qu’un grand travail ne m’a donné qu’en beaucoup d’années.