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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/247

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BLAISE PASCAL ET JOSEPH BERTRAND.

Périer de pleurer sa sœur, Jacqueline, et de garder quelque sentiment humain.

Certes, Pascal était sincère. Il pensait comme il parlait. Il observait les leçons qu’il donnait, mais ces leçons ne sont-elles pas littéralement celles que recevait Orgon du dévot retiré dans sa maison ?

Je pense que, pour beaucoup de raisons, Molière n’a pas songé à peindre les jésuites dans son Tartufe. La meilleure est qu’il eût fâché le roi, à qui il était très empressé de plaire. Mais qu’il ait songé aux jansénistes, en faisant sa comédie, c’est ce que je suis bien tenté de croire, et chaque jour davantage.

On dira que du moins Pascal considérait les pauvres comme les membres de Jésus-Christ et qu’il faisait de grandes aumônes. Oui, sans doute, il aimait les pauvres, et il en logeait chez lui. Mais faites attention qu’il les aimait comme les libertins aiment les femmes, pour l’avantage qu’il espérait en tirer ; car c’est en aimant les pauvres qu’on gagne le ciel et qu’on fait son salut. Il trouvait la pauvreté trop bonne pour vouloir la supprimer. Il l’aimait du même amour dont il aimait la vermine et les ulcères.

On a dit que ce chrétien avait été tourmenté par le doute. C’est là une imagination de quelques esprits troublés du xixe siècle qui ont voulu mirer leur âme dans celle du grand Pascal.

M. Joseph Bertrand a l’esprit trop exact et trop sûr pour croire aux doutes de Pascal. Sur ce point il est très assuré. Et dans le même temps que paraissait le