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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/40

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LA VIE LITTÉRAIRE.

choses actuelles les traits essentiels, les formes typiques. M. de Maupassant y doit réussir autant et mieux que personne, car il a l’œil juste et l’intuition sûre. Il est perspicace avec simplicité. Son nouveau roman veut nous montrer un homme et une femme en 1890, nous peindre l’amour, l’antique amour, le premier né des dieux, sous sa figure présente et dans sa dernière métamorphose. Si la peinture est fidèle, si l’artiste a bien vu et bien copié ses modèles, il faut convenir qu’une Parisienne de nos jours est peu capable d’une passion forte, d’un sentiment vrai.

Michèle de Burne, si jolie dans son éclat doré, avec son nez fin et souriant et son regard de fleur passée, est une mondaine accomplie. Elle a ce goût léger des arts qui donne de la grâce au luxe et communique à la beauté un charme qui la rend toute-puissante sur les esprits raffinés. De plus, sous des airs de gamin et avec un mauvais ton tout à fait moderne et du dernier bateau, elle a cet instinct de sauvage, cette ruse de Peau-Rouge par laquelle les femmes sont si redoutables, j’entends les vraies femmes, celles qui savent armer leur beauté. Au reste d’esprit médiocre, ne sentant point ce qui est vraiment grand, affairée, frivole, vide et s’ennuyant toujours.

Elle est veuve. Son père l’aide à donner des diners et des soirées dont on parle dans les journaux. Ce père est aussi très moderne. Il ne prétend pas aux respects exagérés de sa fille, qu’il aime en connaisseur, avec une petite pointe de sensualisme et de jalousie. Très galant