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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/49

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UN COEUR DE FEMME.

Je sais bien qu’il en reste çà et là quelque chose ; il ne faut pas prendre tout à fait à la lettre ce que je dis. Mais il n’est que trop vrai que le public des romans devient de plus en plus impatient, frivole et oublieux. C’est qu’il est femme. Si l’on excepte M. Zola, nos romanciers à la mode ont infiniment plus de lectrices que de lecteurs.

Et c’est aux femmes qu’on doit l’esprit et le tour du roman contemporain, car il est vrai de dire qu’une littérature est l’œuvre du public aussi bien que des auteurs. Il n’y a que les fous qui parlent tout seuls, et c’est une espèce de monomanie que d’écrire tout seul ; je veux dire pour soi, et sans espoir d’agir sur des âmes. Aussi est-il tout naturel que nos romanciers aient cherché presque tous sans le vouloir et parfois sans le savoir « ce qui plaît aux dames ». M. de Maupassant l’a trouvé avec un peu d’effort, peut-être, mais avec un plein bonheur. Ses derniers ouvrages, Plus fort que la mort et Notre cœur, ont eu des succès de salons.

Ce sont d’ailleurs de fort beaux livres dans lesquels le maître a gardé toute sa franchise et même toute sa rudesse. Mais le thème était agréable. Ce secret précieux de trouver les cœurs féminins, M. Paul Bourget l’avait deviné tout de suite et comme naturellement. Dès le début il s’était exercé à ces analyses du sentiment, à cette métaphysique de l’amour, qui est le grand attrait, le charme invincible. On n’en peut guère sortir sans risquer que les plus beaux yeux du monde se détournent avec ennui de la page commencée. Les femmes ne cher-