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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/50

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LA VIE LITTÉRAIRE.

chent jamais dans un roman que leur propre secret et celui de leurs rivales. Un salon est toujours une sorte de cour d’amour ; il y a des décamérons et des heptamérons sur toutes les plages élégantes, et dans toutes les villes d’eaux. Nos Parisiennes cultivées se plaisent comme madame Pampinée, que nous montre Boccace, aux dissertations sur les exemples singuliers des sentiments tendres. Quand je dis cours d’amour et décamérons, quand je parle de dames qui dissertent, il faut entendre cela dans le sens le plus familier. L’esprit mondain a pris un tour facile et brusque, et la dissertation de madame Pampinée tourne vite au « potinage ». Mais le fond est le même ; aujourd’hui comme autrefois, les femmes aiment à parler autour de leur secret. Le conteur, quand il est M. Paul Bourget ou M. Guy de Maupassant, leur rend un grand service en leur donnant lieu de se confesser sous des noms fictifs ; la confession est un impérieux besoin des âmes. Le père Monsabré l’a dit avec raison dans une de ses conférences de Notre-Dame. Comme M. Bourget est bien inspiré quand il imagine une madame de Moraine ou une madame de Tillières dont toutes les femmes auront l’air de parler, tandis qu’en réalité, sous ces noms de Moraine ou de Tillières, elles parleront d’elles-mêmes et de leurs amies. Quelle rumeur de voix claires et charmantes, que d’aveux involontaires et d’allusions malignes soulève à l’heure du thé et sous les feurs des dîners, chaque roman nouveau de M. Paul Bourget ? Assurément, cette fois, avec l’héroïne d’un Cœur de femme avec madame de