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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/52

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LA VIE LITTÉRAIRE.

qu’il y avait de l’amour inconscient dans la pitié de la céleste Eloa. L’erreur de madame de Tillières fut plus profonde, car elle se donna par pitié pure et sans véritable amour. C’est le crime de la douceur et de la bonté ; ce n’en est pas moins un crime. Elle en fut justement punie : elle aima, n’étant plus libre, et elle ne sut pas se défendre contre cet amour, et ainsi une noble faute la conduisit à une faute avilissante. Du moins, elle ne se pardonna pas à elle-même. Que Dieu la juge après M. Paul Bourget. Mais je crois qu’en vérité c’était une belle créature.

Voilà, n’est-ce pas ? une véritable histoire d’amour et sur laquelle on peut longuement disserter.

Le peu que je viens d’écrire n’est qu’une note en marge du roman de M. Paul Bourget. Je ne vous ai même pas dit le nom des deux fautes de Juliette. La première se nomme Poyanne, la seconde Casal. Poyanne eut des malheurs domestiques ; il a l’âme grande et un beau génie. C’est à lui que madame de Tillières se donne par pitié. Casal est un libertin, et c’est lui qu’on aime vraiment. Et à ce sujet M. Paul Bourget se demande d’où vient ce pouvoir de séduction qu’exercent sur les honnêtes femmes les libertins professionnels, et pourquoi Elvire est attirée par don Juan.

« Quelques-uns, dit-il, veulent y voir le pendant féminin de cette folie masculine qu’un misanthrope humoriste a nommé le rédemptorisme, le désir de racheter les courtisanes par l’amour. D’autres y diagnostiquent une simple vanité. En se faisant adorer par