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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/53

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UN COEUR DE FEMME.

un libertin, une honnête femme n’a-t-elle pas l’orgueil de l’emporter sur d’innombrables rivales et de celles que sa vertu lui rend le plus haïssables ? Peut-être tiendrons-nous le mot de cette énigme, en admettant qu’il existe comme une loi de saturation du cœur. Nous n’avons qu’une capacité limitée de recevoir des impressions d’un certain ordre. Cette capacité une fois comblée, c’est en nous une impuissance d’admettre des impressions identiques et un irrésistible besoin d’impressions contraires. »

Tout cela est vrai ou peut l’être. Et puis la femme est sensible à toutes les renommées. Et puis les spécialistes ont de grands avantages sur le vulgaire, et puis que sait-on ?… M. Paul Bourget qui est un philosophe, et des plus habiles, a, çà et là, dans ce nouveau livre comme dans les précédents, de clairs aperçus sur la nature humaine. J’ai noté au passage cette fine remarque sur l’amitié des femmes entre elles :

« Ce qui distingue l’amitié entre femmes de l’amitié entre hommes, c’est que cette dernière ne saurait aller sans une confiance absolue, tandis que l’autre s’en passe. Une amie ne croit jamais tout à fait ce que lui dit son amie, et cette continuelle suspicion réciproque ne les empêche pas de s’aimer tendrement. »

L’excellent analyste, qui déjà avait si bien défini la jalousie, nous livre cette fois encore sur ce sujet des observations subtiles et profondes.

Voici, par exemple, une remarque qui n’avait pas été faite si nettement, que je sache, bien que l’occasion de la