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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/54

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LA VIE LITTÉRAIRE.

faire n’ait jamais manqué, certes, à la vieille humanité :

« Quand on aime, dit M. Paul Bourget, les plus légers indices servent de matière aux pires soupçons, et les preuves les plus convaincantes, ou que l’on a jugées telles à l’avance, laissent une place dernière à l’espoir. On suppose tout possible dans le mal, on veut le supposer, et une voix secrète plaide en nous, qui nous murmure : « Si tu te trompais, pourtant ! » C’est alors, et quand l’évidence s’impose, indiscutable cette fois, un bouleversement nouveau de tout le cœur, comme si l’on n’avait jamais rien soupçonné. »

En lisant ces romans d’amour mondain, Flirt de M. Paul Hervieu, Notre Cœur, de M. de Maupassant, un Cœur de femme, quelques autres encore, on se prend à songer que l’amour, le sauvage amour, a acquis, avec la civilisation, la régularité d’un jeu dont les gens du monde observent les règles. C’est un jeu plein de complications et de difficultés ; un jeu très élégant. Mais c’est toujours la nature, l’obscure, l’impitoyable nature qui tient le but. Et c’est pour cela qu’il n’y a pas de jeu plus cruel ni plus immoral.