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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/64

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LA VIE LITTÉRAIRE.

lui-même assez peu attaché au régime qu’il servait honnêtement et sans goût. On ne se gênait pas d’en annoncer devant lui la chute prochaine.

Un soir, il répondit :

— Je crois, comme vous, que l’empereur est destiné à se perdre ; il est enivré par ses victoires et la continuité de ses succès. Un jour viendra où il tentera l’impossible. Alors vous reverrez les Bourbons. Mais ils feront tant de fautes, ils connaissent si peu la France, qu’ils amèneront une nouvelle révolution.

C’était prévoir de loin les trois journées de Juillet.

En 1807, madame de la Rochejaquelein venait de commencer ses Mémoires, elle lut à M. de Barante ce qu’elle avait déjà écrit, jusqu’au passage de la Loire, et lui proposa « d’achever et même de rédiger avec plus de style les premiers chapitres ».

Il se mit aussitôt à l’œuvre : madame de la Rochejaquelein dicta ce qu’elle n’avait pas encore rédigé. Le livre, publié en 1815, est admirable de vie et de vérité. M. Claude de Barante insiste dans une longue note pour en faire honneur à son grand-père.

S’il est de M. de Barante, c’est son meilleur livre. Mais on ne peut en déposséder la veuve de M. de Lescure. L’édition de 1889 établit qu’il lui appartient en propre ? Et avait-on besoin même de preuves tirées de l’examen des manuscrits ? Ce livre est fait des deuils, des souffrances, des périls, des misères de cette femme de cœur. Ce livre c’est elle-même, ce qu’elle a vu, ce qu’elle a souffert. Je sais bien que M. de Barante l’a retouché,