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Page:Anatole France - La Vie littéraire, IV.djvu/81

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CÉSAR BORGIA.

l’Église. Et quand César aura conquis les Romagnes et rendu à saint Pierre les villes de son patrimoine, les entrailles du père tressailleront de joie et d’amour. Trois ans plus tard, à la nouvelle que son fils va venir, le pape ne donne plus d’audiences, dit un clerc des cérémonies, il est fiévreux, agité ; il pleure, il rit en même temps.

Ces sentiments ne témoignent-ils pas d’une humanité terriblement rude et simple ? C’est ainsi, n’est-il pas vrai ? qu’on imagine l’âme des hommes des cavernes.

En fait de crimes. César ne fit jamais plus grand que l’assassinat de Gandia. Mais ses autres meurtres, celui, par exemple, d’Alphonse de Bisceglie, le second mari de Lucrèce, portent ce même caractère d’utilité pratique. César tua toujours froidement, sans fantaisie, par pur intérêt. Il n’est pas possible de mettre plus de lucidité dans le crime. Dans toutes ses entreprises, il portait un génie démesuré et des ardeurs surhumaines. Ce blond César, danseur gracieux, qui conduisait, entre deux assauts, des ballets symboliques, était un Hercule.

Le jour de la Saint-Jean, le 24 juin de l’année 1500, on avait organisé des courses de taureaux à Rome, derrière la basilique de Saint-Pierre, selon la mode apportée à Rome, depuis Callixte, par les Aragonais. César descendit, à visage découvert, dans l’arène, combattit à pied, simplement revêtu d’un pourpoint, avec l’épée courte et la muleta et, dans cinq passes successives, se mesura avec cinq taureaux qu’il mit tous à mort. Il abattit même le dernier d’un seul coup d’espadon, aux cris d’une foule en délire.