Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
LA VIE LITTÉRAIRE

lution elle-même au-dessus des hommes ; il aime tout d’elle, il est soutenu, emporté par le grand souffle d’enthousiasme poétique et légendaire qui passe ; il s’efforce, comme on disait l’autre jour à la Chambre, de soulever le bloc.

Épopée et légende, c’était l’esprit du temps. Mais les choses ne pouvaient rester toujours dans cette incertitude poétique ; il fallait ou que la légende tuât l’histoire, ou que l’histoire tuât la légende et l’épopée. C’est l’histoire, l’histoire critique qui a vaincu. Même dans les ouvrages apologétiques qu’on publie aujourd’hui, on ne tente plus de concilier l’inconciliable. Les Girondins sont presque tout à fait abandonnés. M. Robinet accable madame Roland pour mieux défendre Danton. M. Bougeard ne se soucie que de Marat, M. Hamel ne connaît que Robespierre et Saint-Just. Je ne découvre guère que M. Aulard dont le docte fanatisme veuille encore embrasser tout le bloc. Mais il est accablé de documents, et beaucoup de bibliographie opprime son enthousiasme.

Hélas ! l’histoire de la Révolution gît sous d’innombrables dossiers. Lorsqu’on a feuilleté le catalogue des imprimés relatifs à l’histoire de Paris pendant la Révolution, dressé avec une admirable exactitude par M. Maurice Tourneux, et qu’on songe que la vérité est cachée sous tant de papier, on est effrayé. On se dit que connaître une époque où la pensée et l’action étaient si rapides et si multipliées est au-dessus des forces humaines, et l’on admire l’assurance avec laquelle nos modernes jacobins veulent dissiper nos doutes et hâter notre instruction en nous imposant sur de tels événements, et si nombreux, une opinion d’État.

Ils se plaignent à grands cris que M. Victorien