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LA VIE LITTÉRAIRE

Je l’ai dit et suis prêt à le redire. Mais en nommant M. José de Heredia je devais rappeler tout d’abord qu’il est un poète excellent, et qu’on ne doit disputer avec lui de la théorie du vers qu’après lui avoir reconnu l’avantage qu’il s’est acquis dans la pratique, où il est un maître. Mon excuse est que j’ai plusieurs fois déjà marqué l’admiration que m’inspirent les sonnets magnifiques de M. de Heredia, et que je ne négligerai jamais les occasions de la témoigner encore. M. de Heredia, qui est le plus galant homme du monde, m’a mis, par sa politesse, aux regrets de ne l’avoir pas traité dans mes propos comme on doit traiter un homme du plus grand talent quand on a le malheur de n’être point de son avis. Je m’accuserai d’une façon plus générale de n’avoir point assez marqué à M. Huret qu’en me séparant de mes vieux amis du Parnasse sur une question de prosodie, je gardais pour eux tous les sentiments que la sympathie et l’habitude ont formés. Je ne lui ai point assez dit que M. Catulle Mendès est un poète de l’espèce la plus rare, un poète qui aime assez les vers pour se plaire à ceux même qu’il n’a pas faits. Je ne lui ai pas assez dit tout le bien que je pense de Louis-Xavier de Ricard, mis de côté bien injustement dans l’enquête, de Léon Dierx, de François Coppée, de Sully Prudhomme, d’Armand Silvestre. Il me serait pénible de les fâcher en quelque manière que ce soit. Je les prie de me garder leur bienveillance, qui m’est infiniment précieuse. Par contre, je me soucie fort peu du sentiment de ceux qui, sans me connaître, prétendent découvrir les mobiles de mes actions, prêtent un sens défavorable à toutes mes paroles et même à mon silence, et voient un calcul dans tout ce que je