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LITTÉRATURE SOCIALISTE

par la longueur de sa barbe que par celle de ses idées. Et ce patriarche de l’émeute, traité par M. Renard dans la manière idéale et un peu béate de l’art religieux, a vraiment bien peu de relief auprès de ces figures de socialistes dessinées sur nature par M. Paul Renouard pour les journaux illustrés, ou crayonnées par M. T. de Wyzewa dans sa très vive et très spirituelle enquête sur le Mouvement socialiste en Europe. Que M. de Wyzewa passe M. Renard en pittoresque, alors qu’il nous montre M. Guesde apparaissant à Châtellerault sur la scène du théâtre, un soir de conférence : « Vrai diable de boîte à malice, tout noir, tout barbu et chevelu, découpant les mots l’un après l’autre et accompagnant sa sèche et mécanique parole de gestes secs et mécaniques, exactement comme s’il venait de surgir de la table » !

M. Georges Renard est un esprit généreux, affamé de justice. Il se rend témoignage à lui-même, quand il dit : « J’ai combattu de toutes mes forces l’égoïsme, la haine, le mensonge et l’esprit de secte partout où je les ai rencontrés. » Il a écrit son livre pour faire entendre les réclamations de la justice idéale. Et il a toujours eu sous les yeux, nous dit-il encore, cette devise : « Guerre aux opinions ! Paix aux personnes ! » Qu’il me permette de lui faire remarquer que toutes les parties de son roman ne répondent pas exactement à ses intentions. Il nous montre dans la Conversion d’André Savenay une inimitié entre ouvriers et bourgeois qui n’existe pas, du moins à Paris.

À le lire, on croirait à des préjugés de castes et à des haines privées, là où existe seulement l’antagonisme des intérêts. Il en juge par les discours des réunions publiques. Mais, s’il s’était soucié de peindre