Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
LA VIE LITTÉRAIRE

Un orchestre immense se tient à mi-côte. Le cortège, venu des Tuileries, a passé tout entier, peuple et magistrats, sous ce joug symbolique de la loi, qu’on voit à gauche, formé d’une guirlande soutenue par deux termes et tenant suspendu sur les têtes le niveau de l’égalité. Le char de l’agriculture, drapé de rouge et traîné par des bœufs, occupe le milieu du tableau. Le premier plan est formé par une haie de curieux, parmi lesquels se trouvent des citoyennes en robes claires, avec des ceintures aux couleurs de la Nation. Elles sont charmantes. Et comme c’est là une fête populaire, un marchand de coco, portant sur son dos sa fontaine à dôme de cuivre, parcourt les rangs en agitant sa sonnette. Un beau soleil brille sur cette fête, à laquelle il semble sourire avec majesté. On remarqua que, le 20 prairial, le temps était magnifique et les artistes chargés de fixer le souvenir de cette journée prirent soin d’étendre, comme un décor sur la scène, les rayons d’un ciel éblouissant. On voit le soleil sur les médailles de plomb frappées en commémoration du 20 prairial et sur ces grossières images coloriées que Chéreau vendait rue Saint-Jacques, alors rue Jacques. On n’en peut douter après avoir regardé la toile attribuée à Demachy et consulté les estampes conservées à l’hôtel Carnavalet : la fête de l’Être suprême fut très belle, et les Parisiens en revinrent charmés.

On y sent le génie de David qui en avait dessiné les décors et réglé les cortèges. Inspiré par l’enthousiasme révolutionnaire, David savait imprimer à ces solennités une grandeur austère. Il faut dire aussi que les costumes, encore lumineux et brillants, ne formaient point, comme les nôtres, ces masses noires qui ôtent aujourd’hui tout agrément aux cortèges