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LA VIE LITTÉRAIRE

Quel beau symbole que celui de ce roi au masque d’or qui se débat dans l’aridité de la vie, de mirage en mirage, de mensonge en mensonge, jusqu’au sommeil sans rêve ! Vraie image de l’homme, ce prince au masque d’or, qui ne saura jamais quelle réalité se cache sous les apparences et, trompé sur le moi et le non-moi, se débat vainement dans le sein de l’éternelle Maïa !

Les autres masques que nous fait paraître M. Marcel Schwob ne sont pas moins tragiques, et il en est tels à travers lesquels luisent des regards qui font frissonner. Les vingt et une nouvelles que comporte ce livre étrange et magnifique sont toutes dédiées à ces deux puissances, vieilles comme le monde et qui dureront autant que lui, la Terreur et la Pitié. M. Marcel Schwob sacrifie plus volontiers et plus abondamment à la première. Mais ce qu’il donne à la Pitié est précieux et rare. J’en avais pu douter quand on ne connaissait que son premier recueil. Cœur double. Cette fois, après avoir lu Cruchette et ce délicieux conte, Au pays bleu, il faut sentir ce qu’il y a de tendresse contenue et de chaste sensibilité dans l’âme de ce poète de l’horrible. Les masques et figures qu’il nous donne aujourd’hui sont très divers ; il en est qui se meuvent dans les épouvantes de la période glaciaire et qui sont comme le rêve de cet âge qui n’a point laissé le souvenir de ses rêves (la Mort d’Odjigh) ; il en est d’antiques, d’une antiquité non point traditionnelle et convenue, mais vive, fraîche et prise à sa source. Nous savions déjà avec quel art profond M. Marcel Schwob savait réveiller les contemporains de Pétrone et d’Apulée, comme il leur faisait avouer leurs croyances secrètes et leurs terreurs intimes, trahir les mouvements