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MARCEL SCHWOB

significatifs de la chair et du sang. On retrouve dans le Roi au masque d’or de ces peintures aussi vives que celles qu’on découvre sur les murs des maisons de Pompéï (les Embaumeuses, les Eunuques).

Il faut citer à part les Milésiennes, récit digne de Plutarque. Et, dans ma pensée, la louange n’est pas médiocre. Car si ce bon rhéteur était un peu trop abondant d’ordinaire, il sema ses Vies des hommes illustres de scènes tragiques et familières qui sont ce que l’antiquité nous a laissé de plus excellent en ce genre. Relisez, par exemple, la mort de Monime, l’expédition d’Antoine en Mésopotamie, la mort de Cléopâtre, vous goûterez l’élégante et forte concision de ces petits morceaux, la justesse du trait, le sens profond. Ce sont des espèces de contes ou nouvelles très rapides, comme nous les aimons aujourd’hui. Il ne faut que les détacher et les examiner à part. Si j’insiste ici sur ce point, c’est que je retrouve les mêmes qualités dans les contes de M. Marcel Schwob, pour peu que le sujet les veuille et les permette. Ces Milésiennes font mon admiration. À chaque page je crois voir un tableau peint à la cire dans l’atelier de Parrhasius. J’en veux du moins citer quelques lignes :

Tout à coup, sans que personne en sût la cause, les vierges de Milet commencèrent à se pendre. Ce fut comme une épidémie morale. En poussant les portes des gynécées, on heurtait les pieds encore frémissants d’un corps blanc, suspendu aux poutres. On était surpris par un soupir rauque et par un tintement de bagues, de bracelets et d’anneaux de chevilles qui roulaient à terre. La gorge des pendues se soulevait comme les ailes palpitantes d’un oiseau qu’on étouffe. Leurs yeux semblaient pleins de résignation, plutôt que d’horreur…

À peine le premier souffle du matin faisait frissonner les voiles tendus sur les cours intérieures, qu’il apportait des maisons amies le chant grave des pleureuses.