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STÉPHANE MALLARMÉ

le plus simple, le plus modeste, le moins envieux de paraître et d’étonner. On ne pouvait pas non plus soupçonner des troubles graves dans sa fine et subtile intelligence. Tous ses propos révélaient un esprit ingénieux, méditatif, d’une inflexible douceur, très réfléchi et capable de suivre longtemps un raisonnement. Il fallut donc chercher, avec une sympathique attention, dans la philosophie de ce poète le principe et les causes de son ésotérisme. M. Stéphane Mallarmé est grand logicien, et il ne fut pas très difficile de découvrir les lois de son esprit, un des plus intéressants et des plus extraordinaires qui soient parmi les artistes. C’est un platonicien. Voilà tout le secret.

Je ne l’ai point découvert. Plusieurs s’en sont avisés, et M. Jules Lemaître, entre autres, a dit en quelques lignes où reluit la clarté gracieuse de son esprit : « M. Stéphane Mallarmé (je cite un endroit des Contemporains ) est un platonicien éperdu. Il croit à des séries de rapports nécessaires et uniques entre le visible et l’invisible… Il croit à une sorte d’universelle harmonie préétablie en vertu de laquelle les mêmes idées abstraites doivent susciter, dans les cerveaux bien faits, les mêmes symboles. Ou, si vous voulez, il croit que les justes correspondances entre le monde de la pensée et l’univers physique ont été fixées de toute éternité, que l’intelligence divine porte en elle le tableau synoptique de tous ces parallélismes immuables et que, lorsque le poète les découvre, ils éclatent à son esprit avec tant d’évidence qu’il n’a point à les démontrer. » Il est donc obscur à la manière des gnostiques ou des kabbalistes, par cette raison que, pour lui comme pour eux, tout dans la nature visible est signe et correspondance. Et c’est dans sa théorie des analogies qu’est sûrement