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LA VIE LITTÉRAIRE

le grand arcane, la clef de son art. Cette théorie, il l’a faite et publiée en grande partie, car il a, comme j’ai dit, l’esprit de suite et de continuité. Après cela, vous me demandez, peut-être, si je me charge de tout expliquer dans cette œuvre dont bien des parties sont secrètes. Je vous répondrai que non, sans croire sottement que ce que je n’entends pas soit inintelligible. Je pense, au contraire, qu’avec la clef on peut pénétrer dans ces chambres somptueuses et closes. Mais je ne suis pas platonicien, je ne suis pas gnostique, et j’ai peu le sens des analogies systématiques. L’univers m’étonne par son apparente incohérence plus qu’il ne me frappe par son intime harmonie. Je ne comprends pas la philosophie de l’absolu et suis de la sorte très mal fait pour expliquer M. Stéphane Mallarmé, dans les endroits difficiles, comme, au moyen âge, on expliquait Dante à Florence. Heureusement, n’est-il pas tant besoin de gloses et de commentaires pour goûter en beaucoup d’endroits le rare poète d’Hérodiade et de l’Après-midi d’un faune. Le sentiment y suffit çà et là. Aimer quelques endroits, goûter quelques morceaux est un plaisir délicat et le seul qui s’accorde avec un penchant à la paresse ou du moins à l’indolence dont je ne puis tout à fait me défendre. Aussi, sans nous faire, comme dit André Chénier, de doctes veilles, à creuser le sens simple ou triple de tel vers (Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur, par exemple) nous aborderons, si vous voulez, l’œuvre de M. Mallarmé aux rivages les plus accessibles, aux plages les plus hospitalières, qui rappellent ces stations lumineuses de Virgile où les alcyons se plaisent.

Et d’abord, au risque de contrister le poète, je