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STÉPHANE MALLARMÉ

citerai une de ses œuvres de jeunesse, un gracieux petit monument de sa première manière, qu’il a exclu du recueil des morceaux choisis dont on a lu le titre en tête de cet article. C’est un sonnet rocaille, d’un style joliment tarabiscoté, qu’on lira, j’en suis sûr, avec beaucoup de plaisir et qui conserverait encore son parfum dans le plus odorant florilège que puisse composer, au bord du Lignon, un poète de bergerie :

PLACET

J’ai longtemps rêvé d’être, ô duchesse, l’Hébé
Qui rit sur votre tasse au baiser de tes lèvres ;
Mais je suis un poète, un peu moins qu’un abbé,
Et n’ai point jusqu’ici figuré sur le Sèvres.

Puisque je ne suis pas ton bichon embarbé,
Ni tes bonbons, ni ton carmin, ni tes jeux mièvres,
Et que sur moi pourtant ton regard est tombé.
Blonde dont les couleurs divins sont des orfèvres.

Nommez-nous… vous de qui les souris framboises
Sont un troupeau poudré d’agneaux apprivoisés
Qui vont broutant les cœurs et bêlant aux délires.

Nommez-nous… et Boucher sur un rose éventail
Me peindra, flûte aux mains, endormant ce bercail,
Duchesse, nommez-moi berger de vos sourires.

Cela est précieux, et c’est une merveille de bijouterie. M. Stéphane Mallarmé serait mal avisé de rejeter ces premières pièces sorties de ses mains délicates. Il ne peut cacher qu’il est bijoutier. Il l’est, le fut et le sera. Même dans les nues, il est orfèvre. Je citerai, comme un exemple heureux de la seconde manière de ce poète, sa Brise marine où rien, ce me