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LA VIE LITTÉRAIRE

semble, n’est fait pour trop déconcerter le simple lecteur qui y goûtera la prompte netteté des images :

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur, qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages,
Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

Je parle ici de seconde manière. J’ai peut-être tort, et ce poème, comme ceux que je vais citer tout à l’heure, rappellent le premier Mallarmé, plutôt que le second qui est décidément trop escarpé pour le parcourir dans notre courte et facile promenade. Mais on voudra sur la pente douce où nous restons s’arrêter à cette mélancolique figure de femme, transformée par la grâce mythologique du poète, en un paysage d’automne :

SOUPIR

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur
Et vers le ciel errant de ton œil angélique.
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d’eau soupire vers l’Azur !
— Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur