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MAURICE BARRÈS

L’André Maltère de M. Maurice Barrès n’a pas le cœur simple. Il n’a ni l’optimisme candide ni la philanthropie impitoyable des grands réformateurs. Il n’agit que par une sorte de dilettantisme pratique. Je l’aime ainsi. Je l’aime pour sa curiosité. Il est exquis, et il n’est pas méchant.

Il n’a pas de préjugés, il est accessible aux délicatesses du luxe et il a pitié des malheureux. C’est un être très fin, tout à fait agréable. On comprend que mademoiselle Pichon-Picard l’aime et aussi la princesse Marina. Elles l’aiment ensemble et se le partagent avec un bel accord, exempt de jalousie, sans doute parce qu’il ne donne pas grand’chose ni à l’une ni à l’autre. Il est très occupé de la culture de son moi. Il professe cette philosophie qui a été si bien développée par M. Barrès lui-même, et dont Guillaume de Humboldt avait donné la formule, en professant « que l’homme doit vivre pour lui-même, c’est-à-dire pour le développement le plus complet de ses facultés ». S’il agit, c’est par hygiène morale et pour exercer ses énergies naturelles.

« Il faut que j’agisse, puisque je vis », dit Homunculus sorti de l’alambic du docteur Wagner. Et, dans le fait, vivre, c’est agir. Malheureusement, l’esprit spéculatif rend l’homme impropre à l’action. L’empire n’est pas à ceux qui veulent tout comprendre. C’est une infirmité que de voir au delà du but prochain. Il n’y a pas que les chevaux et les mulets à qui il faille des œillères pour marcher sans écart. Les philosophes s’arrêtent en route et changent la course en promenade. L’histoire du petit chaperon rouge est une grande leçon aux hommes d’État, qui portent le petit pot de beurre et ne doivent pas savoir s’il est des noisettes dans les sentiers du bois. André