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HIPPOLYTE TAINE

écrivain reconnaît volontiers qu’il doit en partie à M. Taine l’idée que tout être est un produit nécessaire du milieu. Et c’est là précisément la philosophie des Rougon-Macquart. Au reste, cette application de ses doctrines ne plut guère au maître, qui n’eut jamais de sympathie pour la littérature naturaliste. Il n’aimait pas beaucoup non plus le romantisme. Les œuvres littéraires ne l’intéressaient que comme des signes d’un état social ou moral, ou comme des manifestations d’une sensibilité particulière. Ce qui se faisait en ce sens sous ses yeux le laissait à peu près indifférent. Il n’enveloppait pas, comme M. Renan, toute la littérature dans un mépris immense et très doux, mais il n’en suivait point les progrès avec attention. Aussi comment l’eût-il pu faire ? Occupé d’un travail gigantesque, pouvait-il trouver le temps de lire les nouveautés ?

Les jeunes écoles, blessées de son dédain, l’accusèrent de timidité et de faiblesse. Reproche bien injuste ! Taine, au lieu de se répandre vainement dans la critique quotidienne, ramassait ses forces pour accomplir une œuvre vaste et savamment ordonnée. Il faut l’en louer et l’en admirer. Et puis nous l’avons dit : c’était un philosophe. Bien qu’il écrivît avec autant d’éclat que de force, il n’avait nullement l’esprit littéraire. Les formes du style l’intéressaient non point en elles-mêmes, mais uniquement comme indices d’un esprit ou d’un tempérament. La critique, telle qu’il la concevait, ne s’applique pas aisément aux productions contemporaines. Elle ne peut s’exercer avec liberté que sur les œuvres du passé.

M. Taine, je le sais, était plein de bonté et de bienveillance. Son accueil était gracieux et il ouvrait