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JEAN LAHOR

la vie est meilleure à la surface des mondes géants, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, qui glissent en silence dans des espaces où le soleil commence d’épuiser sa chaleur et sa lumière. Qui sait ce que sont les êtres sur ces globes enveloppés de nuées épaisses et rapides ? Nous ne pouvons nous empêcher de penser, par analogie, que notre système solaire tout entier est une géhenne où l’animal naît pour la souffrance et pour la mort. Et il ne nous reste pas l’illusion de concevoir que les étoiles éclairent des planètes plus heureuses. Les étoiles ressemblent trop à notre soleil. La science a décomposé le faible rayon qu’elles mettent des années, des siècles à nous envoyer ; l’analyse de leur lumière nous a fait connaître que les substances qui brûlent à leur surface sont celles-là mêmes qui s’agitent sur la sphère de l’astre qui, depuis qu’il est des hommes, éclaire et réchauffe leurs misères, leurs folies, leurs douleurs. Cette analogie suffirait seule à me dégoûter de l’univers. L’unité de sa composition chimique me fait assez pressentir la monotonie rigoureuse des états d’âme et de chair qui se produisent dans son inconcevable étendue, et je crains raisonnablement que les êtres pensants ne soient aussi misérables dans le monde de Sirius et dans le système d’Altaïr, qu’ils le sont, à notre connaissance, sur la terre. Mais, dites-vous, tout cela n’est pas l’univers. J’en ai bien aussi quelque soupçon, et je sens que ces immensités ne sont rien et qu’enfin, s’il y a quelque chose, ce quelque chose n’est pas ce que nous voyons. Je sens que nous sommes dans une fantasmagorie et que notre vue de l’univers est purement l’effet du cauchemar de ce mauvais sommeil, qui est la vie. Et c’est cela le pis. Car il est clair que nous ne pou-