Page:Anatole France - La Vie littéraire, V.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
M. JULES SOURY

lorsqu’il était de ce monde, je fais l’histoire des doctrines de psychologie physiologique contemporaines. La paix publique n’en a pas été troublée. J’ai écrit un gros livre de science pure sur les matières de mon enseignement, et, ce qui vaut mieux, j’ai inauguré en France, dans l’enseignement supérieur, l’étude pratique de la psychologie physiologique.

Ayant ainsi parlé, l’excellent professeur reprit sa route coutumière et son rêve habituel.

On sait que M. Jules Soury est archiviste paléographe et docteur es lettres, bref, un homme de la carrière. On sait moins, peut-être, qu’il n’a commencé ses humanités qu’à dix-huit ans. Il avait appris auparavant un état manuel, celui de constructeur d’instruments de précision en verre. Il fit quatre ans d’apprentissage et travailla un an de son état. Pareille discipline fut également imposée au grand philosophe d’Amsterdam. Voici, en effet, ce qu’on lit dans la Vie de Spinoza, par Jean Coléras :

La Loi et les anciens docteurs juifs marquent expressément qu’il ne suffit pas d’être savant, mais qu’on doit, en outre, s’exercer dans quelque art mécanique ou profession, pour s’en pouvoir aider à tout événement et y gagner de quoi subsister… Spinoza n’ignorait point ces maximes… Comme elles sont fort sages et raisonnables, il en fit son profit et apprit un art mécanique, avant d’embrasser une vie tranquille et retirée, comme il y était résolu. Il apprit donc à faire des verres pour des lunettes d’approche et pour d’autres usages, et il y réussit si parfaitement qu’on s’adressait de tous côtés à lui pour en acheter ; ce qui lui fournit suffisamment de quoi vivre et s’entretenir. On en trouva dans son cabinet, après sa mort, encore un bon nombre qu’il avait polis ; et ils furent vendus assez cher, comme on le peut justifier par le registre du crieur public, qui assista à son inventaire et à la vente de ses meubles.