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LA VIE LITTÉRAIRE

Comme Spinoza, le jeune Soury construisait des instruments d’optique. Travaillant chez un constructeur fort apprécié des chimistes et des physiciens, il trouva chez ce maître, honnête homme et intelligent, une bibliothèque assez bonne qu’il dévora avidement. Il apprit seul un peu de latin et fit quelques thèmes et versions avec un vieux maître d’humanités. Durant les longues heures du soir qu’il passait à la bibliothèque Sainte-Geneviève, il lut tout Buffon, Voltaire et Diderot. Il était fort triste en songeant qu’il n’aurait jamais ni le loisir ni les moyens d’étudier, et même il tomba dans une mélancolie profonde. Ses parents, qui étaient très pauvres et qui avaient déjà dépensé beaucoup d’argent pour lui faire apprendre un métier, consentirent (M. Jules Soury, je le sais, leur en a gardé une pieuse reconnaissance ) à faire de nouveaux et plus grands sacrifices. Entré au lycée à dix-huit ans, il acheva en trois ans toutes ses classes, et, sur le conseil de M. Michel Bréal, qu’il avait eu un moment pour maître, il entra à l’École des chartes dont il sortit, après quatre ans d’études, avec le diplôme d’archiviste paléographe. Pendant qu’attaché à la Bibliothèque nationale il travaillait au catalogue des manuscrits français, il donnait aux journaux et aux revues des articles où se révélaient, dans un style fin et fort, une philosophie déjà étendue et pleine. Le Temps eut une assez large part de cette collaboration substantielle, et les anciens lecteurs du journal n’ont pas oublié d’excellentes études de M. Soury sur Gassendi, sur Germanicus, sur le pessimisme, etc. M. Soury est admirable pour la variété des connaissances et la profondeur des vues. Ses articles, dont quelques-uns ont été réunis en volume, font les délices des