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M. JULES SOURY

délicats. Il n’y a pas de lecture plus exquise que celle, par exemple, des Portraits de femmes et des Portraits du dix-huitième siècle. Mais on peut dire que M. Soury ne ménageait pas toujours assez les esprits simples. Il avait des ironies philosophiques qui exaspéraient les bonnes âmes. Celles-ci ne lui pardonnaient pas de dire que « les héros ont, en général, très peu d’idées », ce qui est pourtant vrai, et que « Gassendi avait trop d’esprit pour faire un martyr », bien qu’une semblable maxime puisse être couverte par l’autorité de Montaigne. Il n’entrait point du tout dans les préjugés vulgaires. Il se fit, dit-on, ime mauvaise affaire à la Revue des Deux Mondes pour avoir traité d’amusante historiette, de moinerie propre à chasser les vapeurs, un petit livre du dix-huitième siècle, que les rigoristes traitent d’ordinaire avec plus de sévérité. À la République française, il fâcha de braves gens par une phrase juste, mais un peu leste sur Jeanne d’Arc, qui est devenue, depuis dix ans, l’objet d une sorte de culte national. Ce qu’il y a de singulier, c’est que cet esprit merveilleusement pénétrant estime, admire chez les grands esprits d’autrefois, chez Gassendi en particulier, l’art de couler les idées en douceur et de ne scandaliser personne, et qu’il, a tout au contraire une manière âpre et parfois agressive de présenter ses idées : il est tout ensemble dédaigneux et violent. Sa thèse française de doctorat sur les théories naturalistes du monde et de la vie, savant et bel ouvrage, était semée de pièces explosibles, de machines infernales disposées pour éclater au nez des spiritualistes. Or, il se trouva que le président de thèse était le regretté M. Caro, philosophe spiritualiste. Il fut bien forcé de reconnaître ses propres doctrines dans « ces imaginations puériles qui, disait le candidat, ont