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LA VIE LITTÉRAIRE

abaissé tant d’hommes, d’ailleurs fort instruits, au niveau mental des sauvages », mais il était homme d’esprit, surtout en Sorbonne ; il se vengea en faisant une belle apologie de Socrate et en louant M. Jules Soury du charme invincible de son style.

Cette humeur vient, chez notre philosophe, d’une sensibilité très vive, d’une extrême irritabilité. Il est irascible, comme les poètes qu’il égale ou surpasse par l’imagination et le sentiment.

On ne lui reprochera pas du moins de se croire seul en possession de la vérité. Pour lui, la science la plus haute n’est toujours qu’une ignorance relative. Il a au plus haut degré le sens du relatif, et s’il n’est pas proprement sceptique, c’est que le scepticisme est une métaphysique et qu’il estime peu la métaphysique, encore qu’il reconnaisse avec tristesse que « l’homme est par excellence un animal métaphysicien ».

Les philosophies l’intéressent comme des monuments psychiques propres à éclairer le savant sur les divers états qu’a traversés l’esprit humain. Précieuses pour la connaissance de l’homme, elles ne sauraient nous instruire en rien de ce qui n’est pas l’homme.

Les systèmes sont comme ces minces fils de platine qu’on met dans les lunettes astronomiques pour en diviser le champ en parties égales. Ces fils sont utiles à l’observation exacte des astres, mais ils sont de l’homme et non du ciel. M. Soury trouve bon qu’il y ait des fils de platine dans les lunettes. Il veut seulement qu’on n’oublie pas que c’est l’opticien qui les a mis :

Toutes les doctrines philosophiques, dit-il, ont été nécessaires, partant légitimes, à leur heure. Elles ont