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M. JULES SOURY
été vraies aussi longtemps qu’elles ont reflété les divers états de l’esprit humain, qui se contemplait en elles. Puis les hypothèses vieillies ont fait place à de plus jeunes. Nos théories auront le sort de celles qui les ont précédées ; elles nous occupent, nous passionnent : nos descendants souriront avec compassion de notre simplicité. (Bréviaire de l’histoire du matérialisme.)

Lui-même, il procède du vieil atomisme de Démocrite, d’Épicure, de Lucrèce et de Gassendi ; il soutient et développe la doctrine de l’évolution si largement développée par la science moderne. Il rattache le transformisme à la plus vaste des hypothèses cosmiques, celle de la transformation et de la conservation des forces physiques, et il jouit ainsi du plus magnifique poème dont puisse s’enchanter la raison de l’homme.

Mais il ne s’abuse point sur la durée de cette sublime conception. Il sait qu’elle subira comme toutes choses les outrages du temps.

Il s’en console, et, dans sa soumission à la nature, il va jusqu’à s’en réjouir :

De solutions définitives, dit-il, nous n’en apporterons point, d’abord parce qu’il n’en existe peut-être pas, mais surtout parce que le charme secret, l’attrait profond des questions transcendantes est tout entier dans la poursuite des vérités inconnues qui fuient et se dérobent.

Et comment l’homme prétendrait-il saisir la vérité des choses ?

En dehors des rêves qu’il fait tout éveillé, et qu’il appelle ses pensées, pour les distinguer des rêves de ses nuits, en dehors de ses états de conscience, l’homme ne peut rien savoir du monde lui-même, du monde tel qu’il est, non tel qu’il lui paraît être.