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LA VIE LITTÉRAIRE

Et M. Jules Soury dit ailleurs, avec une précision de langage et de pensée due à ses longues études du cerveau et des centres nerveux :

Quel rapport y a-t-il entre ces vibrations de l’air et de l’éther, qui à chaque instant assaillent nos organes, et les sensations de lumière, de couleur, de chaleur, de son, etc., qu’elles provoquent ou réveillent dans notre conscience ? Un mouvement n’est ni bleu ni rouge, il n’est ni froid ni chaud, il n’est pas plus sonore que sapide. C’est au sein des ganglions de la substance nerveuse que, par une évolution inconnue, ces innombrables ébranlements de l’étendue se transforment pour nous en un univers où la lumière ruisselle des profondeurs azurées et baigne éternellement les mondes de ses vagues infinies ; où, sur la terre comme aux cieux, tout se colore, tout s’anime de bruits charmants ou terribles.

La harpe éolienne que les souffles de l’air font chanter croira que le vent est un son. Nous sommes cette harpe. Et M. Soury aboutit à cette formule précise :

« Le monde, tel qu’il nous apparaît, n’est qu’un phénomène cérébral. »

Je ne prétends pas du tout exposer ici la doctrine philosophique de M. Jules Soury. Mais ce savant est un écrivain admirable. On ne sait pas assez que son style, moulé sur la pensée, est souple, vigoureux, coloré et parfois d’une splendeur étrange, et je reste dans ma fonction purement littéraire en mettant sous les yeux du lecteur une page parfaitement belle, dans laquelle M. Jules Soury résume ses vues sur la nature. Je la tire d’une introduction à la théorie de l’évolution du sens des couleurs, traduite de l’allemand :

Certes, la nature existe ; elle est notre mère ; nous sortons de son sein, nous y rentrons. Le grain de blé qu’on