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M. JULES SOURY

jette dans le sillon germe et sort de terre, l’épi devient du pain, il se transforme chez l’homme en chair et en sang, en ovule fécondé d’où se développe l’embryon, l’enfant, l’homme ; puis le cadavre engraisse la terre oui portera d’autres moissons, et ainsi dans les siècles des siècles, sans qu’on puisse dire ni comprendre pourquoi.

Car, s’il est quelque chose de vain et d’inutile au monde, c’est la naissance, l’existence et la mort des innombrables parasites, faunes et flores qui végètent comme une moisissure et s’agitent à la surface de cette infime planète, entraînée à la suite du soleil vers quelque constellation inconnue. Indifférente en soi, nécessaire en tout cas, puisqu’elle est, cette existence, qui a pour condition la lutte acharnée de tous contre tous, la violence ou la ruse, l’amour plus amer que la mort, paraîtra, au moins à tous les êtres vraiment conscients, un rêve sinistre, une hallucination douloureuse, au prix de laquelle le néant serait un bien.

Mais, si nous sommes les fils de la nature, si elle nous a créés et donné l’être, c’est nous, à notre tour, qui l’avons douée de toutes les qualités idéales qui la parent à nos yeux, qui avons tissé le voile lumineux sous lequel elle nous apparaît. L’éternelle illusion qui enchante ou qui tourmente le cœur de l’homme est donc bien son œuvre. Dans cet univers, où tout est ténèbres et silence, lui seul veille et souffre sur cette planète, parce que lui seul peut-être, avec ses frères inférieurs, médite et pense. C’est à peine s’il commence à comprendre la vanité de tout ce qu’il a cru, de tout ce qu’il a aimé, le néant de la beauté, le mensonge de la bonté, l’ironie de toute science humaine. Après s’être naïvement adoré dans ses dieux et dans ses héros, quand il n’a plus ni foi ni espoir, voici qu’il sent que la nature elle-même se dérobe, qu’elle n’était, comme tout le reste, qu’apparence et duperie. Seul, sur ce monde envahi par la mort, au milieu des débris de ses idoles brisées, se dresse le fantôme de l’Illusion.

Sans doute, la tristesse philosophique s’exprime ici avec une morne magnificence. Comme les croyants