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LA VIE LITTÉRAIRE

causeries que vous me faites la faveur de m’écrire, et spécialement à l’occasion d’un article que j’ai consacré dans le Temps à M. Jules Soury[1]. En effet, vous avez bien senti (sans le dire) que mes idées étaient choses légères, qui ne se soutenaient un peu qu’avec l’appui d’un savant et d’un philosophe tel, par exemple, que l’historien des Doctrines psychologiques contemporaines. Vous parlez dans votre lettre en bons termes de cet homme admirable, qui est notre Gassendi, et quelque chose de plus, car M. Jules Soury, écrivain admirable, saisit en même temps que les vérités scientifiques ces délicates et précieuses vérités de sentiment qui sont pour l’esprit humain ce qu’est le ciel dans un paysage. Vous l’avez compris, monsieur, et vous avez tenu à honneur de louer M. Jules Soury en le combattant. Vous me combattiez en même temps, et de la manière la plus flatteuse, si l’on peut appeler combat l’harmonieuse opposition des idées. Encore s’en faut-il de beaucoup que j’aie le malheur d’être votre adversaire sur tous les points. Vous pensez que nous avons perdu pour jamais le paradis de notre enfance et que nous ne retrouverons plus le beau jardin de notre Bible à estampes où nous voyions Adam et Eve au milieu de tous les animaux de la création. Le maître du jardin était un beau vieillard à la barbe flottante, et l’on s’apercevait, aux grands pli de son manteau, que le peintre avait étudié en Italie. Mais il était Flamand, et il y paraissait à son Eve, d’une beauté abondante et de chairs lourdes et riches. Vous convenez, monsieur, qu’il nous est impossible de fonder désormais des espérances infinies sur des mythes

  1. Voir l’article précédent. (Note de l’éditeur.)