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LA VIE LITTÉRAIRE

livre n’est pas favorable à Goltz et à l’école de Strasbourg, en qui revit encore le vieux Flourens. Il va dans le sens des localisations, et cela vous inquiète un peu. Vous ne voudriez pas que chaque faculté psychique fût trop exactement dépendante d’un centre circonscrit dans l’écorce cérébrale et tout à fait attachée à l’état précaire d’un peu de substance grise ganglionnaire.

Vous craignez que la pensée n’en soit humiliée, et Groltz vous plaît mieux, étant moins mécanicien et laissant courir toute l’âme dans le cerveau comme un lapin dans le serpolet. Néanmoins, comme, avec cette bonne foi et cette probité que vous louez en autrui, vous tenez pour désormais démontré que la substance cérébrale n’est pas partout fonctionnellement homogène, ce serait de ma part une impertinence de vous approuver sur ce point. Ce que j’en ai dit était pour établir que vous ne craignez pas l’expérience et que, formé pourtant au doute par les querelles des maîtres, vous admettez volontiers des vérités de laboratoire. Un peu contrarié d’abord par les dernières nouvelles du cerveau, vous avez bientôt repris toute votre sérénité et vous avez eu raison. Vous vous êtes assuré que votre château spirituel n’avait reçu aucune atteinte du scalpel de Broca, de Fritsch et de Hitzig, et vous en avez respiré d’aise. Permettez-moi de vous dire que, dans les hauteurs où vous l’avez bâti, il ne courait aucun risque. Les constructions métaphysiques ou sentimentales ne sauraient être atteintes par aucune expérience de laboratoire et la science est aussi incapable de les renverser que de les soutenir.

Mais je vois bien ce qui vous inquiétait. Vous craigniez que le savant ne se fît tout à coup méta-