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« LOHENGRIN » À PARIS

s’en était allée dans la forêt avec Godefroid, elle revint seule et ne put dire ce que son frère était devenu, parce qu’elle ne le savait point.

Or, sachez qu’il y avait dans cette forêt un château, près d’un étang. Là vivait la fille de Radbod, le vieux duc païen des Frisons ; elle se nommait Ortrude et était magicienne. Ayant vu l’enfant et connu qui il était, elle s’était approchée de lui à l’insu d’Elsa et l’avait changé en cygne par une œuvre de son art, qui était de lui passer au cou une chaînette d’or.

Après avoir opéré cet enchantement, Ortrude alla trouver Frédéric de Telramund et lui dit : « Comte, j’ai vu Elsa noyer son frère dans l’étang qui baigne le pied de mon château. » Et, reconnaissant que Frédéric ajoutait foi à ses paroles, elle dit encore : « Je sais lire dans le livre de la destinée. Écoute : La vieille souche royale de Radbod va reverdir. »

C’est pourquoi Frédéric de Telramund renonça à la main d’Elsa de Brabant pour épouser Ortrude de Frise. Cependant Elsa, chargée d’un crime odieux, ne pouvait se défendre et ne savait que gémir. Un jour qu’elle se lamentait seule dans sa chambre, elle entendit ses plaintes emportées loin d’elle par les airs ; puis elle ferma les yeux et s’endormit. Elle vit alors un chevalier vêtu d’une étincelante armure qui, s’approchant d’elle, lui adressa des paroles courtoises et consolantes. Elle connut qu’elle l’aimait, et à son réveil elle se sentit rassurée.

Peu de temps après, le roi Henri vint tenir son ban avec sa chevalerie sous un vieux chêne, dans une prairie qu’arrose l’Escaut. Quand les trompettes eurent sonné l’appel du roi, Frédéric de Telramund se présenta, accompagné d’Ortrude, et dit :