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LA VIE LITTÉRAIRE

« — Roi, j’accuse Elsa de Brabant du meurtre de son jeune frère. Et je réclame pour moi cette terre avec justice, car je suis le plus proche héritier du sang du duc, et ma femme est de la race qui donna jadis aussi des princes à ce pays. Tu entends la plainte, ô roi, prononce une juste sentence !

« — Comment un tel crime est-il possible ? demanda le roi.

« — Elsa, répondit le comte, a l’âme ardente et vaine. Elle a repoussé dédaigneusement la main que je lui offrais. C’est pourquoi je l’accuse d’un amour illégitime. Elle se flattait que, débarrassée de son frère et devenue par un crime héritière du Brabant, il lui serait facile de refuser la main de son vassal et de prendre au grand jour, avec insolence, celle de son amant secret. »

Ayant entendu l’accusation, le roi suspendit son écu au chêne de la prairie et fit serment d’être bon justicier.

Elsa, appelée par le héraut, s’avança, vêtue d’une robe blanche, en signe d’innocence. Mais, au lieu de se défendre, elle soupira : Mon frère ! et puis elle se tut.

Pourtant, elle regardait à l’horizon lointain. Et quand le roi la somma de se justifier, elle répondit qu’elle remettait sa défense au chevalier qu’elle avait vu pendant son sommeil.

Après cette réponse, on la crut perdue. Le duc de Telramund offrit de soutenir son accusation au jugement de Dieu, par un combat à la vie et à la mort. Les hérauts sonnèrent deux fois l’appel et personne ne se présenta en champ clos pour l’accusée. Alors elle s’écria :

— Mon roi bien-aimé, accueille ma prière. Fais