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« LOHENGRIN » À PARIS

tu as souffert à cause de moi, pardonne-moi. Reste, reste à mon côté, dans ma maison.

Ortrude resta donc dans la demeure par la grâce d’Elsa. Et quand, le jour des noces, la jeune épouse alla prier au munster, la fille de Radbod, reprenant toute sa fierté, cria avec un rire moqueur :

— Voilà Elsa de Brabant qui ne sait pas le nom de son mari ! Elsa, ma mie, peux-tu nous dire si sa race est sans reproche ? Peux-tu nous dire d’où il est venu sur le fleuve ? Peux-tu nous dire quand il s’en ira ? Voilà des questions qui l’embarrasseraient. Aussi le prudent héros t’a interdit de les faire.

Le chevalier au cygne survint et chassa la magicienne, mais trop tard, le poison était versé dans le cœur d’Elsa.

Ils s’aimaient comme jamais on ne s’aima sur la terre. Quand les portes de la chambre nuptiale se refermèrent sur eux, ils tombèrent, embrassés, dans un abîme de délices, et ils étaient si heureux qu’ils croyaient mourir. Pourtant, le poison versé par Ortrude brûlait sourdement le cœur de l’épouse. Aux premières lueurs du matin, Elsa dit au chevalier mystérieux :

— Confie-moi ton secret. D’où viens-tu ?

Au lieu de répondre, il gémit :

— Malheur à toi !

Elle demanda encore :

— Quelle est ta nature ?

— Malheur à nous ! s’écria-t-il.

À ce moment, la porte de la chambre s’ouvrit avec fracas et laissa passage au comte de Telramund et à quatre Brabançons qui, l’épée nue, se jetèrent sur le chevalier. Mais celui-ci, recevant des mains d’Elsa son épée, en frappa mortellement le