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TAINE ET NAPOLÉON

qui parut ici même, lors de la publication des études de M. Taine, et que je n’ai point à regretter.

Le prince Napoléon établit sans peine que l’auteur des Origines de la France contemporaine puise les faits à des sources souvent empoisonnées et qu’il ne tient aucun compte des témoignages contradictoires apportés par des hommes honnêtes et dignes de foi. Rien n’est plus vrai. Il n’écoute point La Valette, Méneval, le baron Fain, qui sont de fort honnêtes gens. Il n’a d’oreilles que pour des coquins tels que Bourrienne et l’abbé de Pradt. Il accorde aux espions de la Sainte-Alliance une confiance dont notre patriotisme s’alarme.

Pourtant cette partie du livre du prince Napoléon n’est pas sans reproche. On voudrait en effacer des pages injustes et violentes.

M. Taine y est suspecté dans ses intentions, attaqué dans son caractère, soupçonné dans sa probité d’écrivain. C’est dépasser de beaucoup les droits sacrés de la défense.

Il est permis sans doute de discuter les procédés historiques de M. Taine et d’en contester les résultats. J’ai cru pouvoir le faire moi-même, et non sans chaleur, bien que j’eusse personnellement des obligations à M. Taine.

J’ai cru, je crois encore que je lui dois la vérité aussi bien que ma gratitude. Mais il n’est pas plus possible de nier la sincérité de sa pensée que la force de son talent. Qu’a-t-il fait dans ce grand ouvrage des Origines de la France contemporaine, que se brouiller tour à tour avec toutes les opinions qui se partagent la France ? Et comment s’imaginer qu’il cherchait son intérêt en se faisant des ennemis dans tous les camps ? Je ne crois pas qu’il ait été