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LA VIE LITTÉRAIRE

juste ni envers l’ancien régime, ni envers la Révolution, ni envers Bonaparte.

Dans tous les temps la France fut belle, elle fut digne dans tous les temps de l’amour de ses fils. J’aime la Révolution parce que nous en sortons, et j’aime l’ancienne France parce que la Révolution en est sortie. Il n’est pas si difficile qu’on croit de réconcilier les pères et les enfants : il n’y faut que de l’intelligence et de la sympathie. Je crois que M. Taine n’a pas été juste, mais je crois qu’il a voulu être juste. Je crois, je sais qu’il n’a cherché que la vérité.

Et avec quelle patience héroïque il l’a cherchée. Il est entré jeune encore dans le travail immense et malheureux, et il en sort aujourd’hui malade et vieilli, méconnaissable. Ce n’est pas là le fait d’un pamphlétaire. Les pamphlétaires ne s’épuisent pas à fouiller les archives et à entasser les documents pour de vastes constructions philosophiques. Il faut prendre garde enfin que M. Taine compte parmi les trois ou quatre grandes intelligences qui règnent actuellement dans notre pays et reconnaître que puisque de tels hommes se trompent, c’est que l’erreur, attachée à notre condition terrestre, enveloppe parfois les sommets de l’humanité, comme les nuages couvrent les montagnes. Nous sommes tous sujets à l’erreur, et le monde, comme dit l’Écriture est livré à nos disputes.

Quelques citations altérées ou tronquées, quelques fausses références, comme celle qui se rapporte à l’absurde histoire du coup de pied dans le ventre de Volney, ne sauraient constituer des preuves de mauvaise foi. Le prince Napoléon, qui a pratiqué les recherches historiques et présidé la commission de la Correspondance, sait combien il est difficile