Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/104

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eut à subir avant d’être réduit à l’aspect pacifique sous lequel il me reçut. Les étoiles se reflétaient dans l’eau sombre avec une merveilleuse netteté. M. Paul me conduisit, en hôte courtois, jusqu’à ma chambre, située dans les combles, au bout d’un long corridor, et, s’excusant sur l’heure tardive de ne pas me présenter tout de suite à sa femme, me souhaita le bonsoir.

Ma chambre, peinte en blanc et tendue de perse, est empreinte des grâces galantes du xviiie siècle. Des cendres encore chaudes, qui me montrèrent par quels soins on avait dissipé l’humidité, emplissaient la cheminée dont la tablette supportait un buste en biscuit de la reine Marie-Antoinette. Sur le cadre blanc de la glace assombrie et tachée, deux crochets de cuivre, où s’étaient suspendues les châtelaines des dames d’autrefois, s’offraient à l’envi pour recevoir ma montre, que j’eus soin de remonter ; car, contrairement aux maximes des Thélémites, j’estime que l’homme n’est maître du temps, qui est la vie même, que lorsqu’il l’a divisé en heures, en minutes et en secondes, c’est-à-dire en parcelles proportionnées à la brièveté de l’existence humaine.