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que la réflexion ne diminuait pas, s’imposait à mon examen dans une entière immobilité. La persistance et la fixité du phénomène excluaient toute idée d’hallucination. Je suis totalement exempt des affections nerveuses qui perturbent le sens de la vue. La cause en est généralement due à des désordres stomacaux, et je suis pourvu, Dieu merci, d’un excellent estomac. D’ailleurs, les illusions de la vue sont accompagnées de circonstances particulières et anormales qui frappent les hallucinés eux-mêmes et leur inspirent une sorte d’effroi. Or, je n’éprouvais rien de semblable et l’objet que je voyais, bien qu’impossible en soi, m’apparaissait dans toutes les conditions de la réalité naturelle. Je remarquais qu’il avait trois dimensions et des couleurs et qu’il portait ombre. Ah ! si je l’examinais ! Les larmes m’en vinrent aux yeux, et je dus essuyer les verres de mes lunettes.

Enfin il fallut me rendre à l’évidence et constater que j’avais, devant les yeux la fée, la fée que j’avais rêvée l’autre soir dans la bibliothèque. C’était elle, c’était elle, vous dis-je ! Elle avait encore son air de reine enfantine, son attitude souple et fière ; elle tenait dans la main sa ba-