Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/159

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et mes professeurs m’apprirent à peu près tout ce qu’ils voulurent, c’est-à-dire un peu de grec et beaucoup de latin. Je n’eus commerce qu’avec les anciens. J’appris à estimer Miltiade et à admirer Thémistocle. Quintus Fabius me devint familier, autant du moins que la familiarité m’était possible avec un si grand consul. Fier de ces hautes relations, je n’abaissai plus les yeux sur la petite Clémentine et sur son vieux père, qui d’ailleurs partirent un beau jour pour la Normandie sans que je daignasse m’inquiéter de leur retour.

Ils revinrent pourtant, madame, ils revinrent ! Influences du ciel, énergies de la nature, puissances mystérieuses qui répandez sur les hommes le don d’aimer, vous savez si j’ai revu Clémentine ! Ils entrèrent dans notre triste demeure. M. de Lessay ne portait plus perruque. Chauve, avec des mèches grises sur ses tempes rouges, il annonçait une robuste vieillesse. Mais cette divine créature que je voyais resplendir à son bras et dont la présence illuminait le vieux salon fané, ce n’était donc pas une apparition, c’était donc Clémentine ! Je le dis en vérité : ses yeux bleus, ses yeux de pervenche me parurent une chose