Aller au contenu

Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rait peu et pardonnait beaucoup. Avec l’âge il avait pris en haine toutes les exagérations. Il revêtait ses idées de mille nuances fines et n’épousait jamais une opinion qu’avec toutes sortes de réserves. Ces habitudes d’un esprit délicat faisaient bondir le vieux gentilhomme sec et cassant que la modération d’un adversaire ne désarmait jamais, bien au contraire ! Je flairais un danger. Ce danger était Bonaparte. Mon père n’avait gardé aucune tendresse pour lui, mais ayant travaillé sous ses ordres, il n’aimait pas à l’entendre injurier, surtout au profit des Bourbons contre lesquels il avait des griefs sanglants. M. de Lessay, plus voltairien et plus légitimiste que jamais, faisait remonter à Bonaparte l’origine de tout mal politique, social et religieux. En cet état de choses, le capitaine Victor m’inquiétait par dessus tout. Cet oncle terrible était devenu parfaitement intolérable depuis que sa sœur n’était plus là pour le calmer. La harpe de David était brisée et Saül se livrait à ses fureurs. La chute de Charles X augmenta l’audace du vieux napoléonien qui fit toutes les bravades imaginables. Il ne fréquentait plus notre maison trop silencieuse pour lui. Mais parfois, à l’heure du dîner nous le