Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

voyions apparaître couvert de fleurs, comme un mausolée. Communément, il se mettait à table en jurant du fond de sa gorge, vantait, entre les bouchées, ses bonnes fortunes de vieux brave. Puis, le dîner fini, il pliait sa serviette en bonnet d’évêque, avalait un demi-carafon d’eau-de-vie et s’en allait avec la hâte d’un homme épouvanté à l’idée de passer sans boire un temps quelconque en tête à tête avec un vieux philosophe et un jeune savant. Je sentais bien que s’il rencontrait un jour M. de Lessay tout serait perdu. Ce jour arriva, madame !

Le capitaine disparaissait cette fois sous les fleurs et ressemblait si bien à un monument commémoratif des gloires de l’empire qu’on avait envie de lui passer une couronne d’immortelles à chaque bras. Il était extraordinairement satisfait et la première personne qui bénéficia de cette heureuse disposition fut la cuisinière qu’il prit par la taille au moment où elle posait le rôti sur la table.

Après le dîner, il repoussa le carafon qu’on lui présenta en disant qu’il ferait flamber tout à l’heure l’eau-de-vie dans son café. Je lui demandai en tremblant s’il n’aimerait pas mieux qu’on