Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/166

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lui servît son café de suite. Il était fort défiant et point sot, mon oncle Victor. Ma précipitation lui parut de mauvais aloi, car il me regarda d’un certain air et me dit :

— Patience ! mon neveu. Ce n’est pas à l’enfant de troupe à sonner la retraite, que diable ! Vous êtes donc bien pressé, monsieur le magister, de voir si j’ai des éperons à mes bottes.

Il était clair que le capitaine avait deviné que je souhaitais qu’il s’en allât. Le connaissant, j’eus la certitude qu’il resterait. Il resta. Les moindres circonstances de cette soirée demeurent empreintes dans ma mémoire. Mon oncle était tout à fait jovial. La seule pensée d’être importun le gardait en belle humeur. Il nous conta dans un excellent style de caserne, ma foi, certaine histoire d’un moine, d’un trompette et de cinq bouteilles de chambertin qui doit être fort goûtée dans les garnisons et que je n’essayerais pas de vous conter, madame, même si je me la rappelais. Quand nous passâmes dans le salon, le capitaine nous signala le mauvais état de nos chenets et nous enseigna doctement l’emploi du tripoli pour le polissage des cuivres. De politique, pas un mot. Il se ménageait. Huit coups sonnèrent