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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/167

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dans les ruines de Carthage. C’était l’heure de M. de Lessay. Quelques minutes après il entra dans le salon avec sa fille. Le train ordinaire des soirées commença. Clémentine se mit à broder près de la lampe dont l’abat-jour laissait sa jolie tête dans une ombre légère et ramenait sur ses doigts une clarté qui les rendait presque lumineux. M. de Lessay parla d’une comète annoncée par les astronomes et développa à cette occasion des théories qui, si hasardeuses qu’elles fussent, témoignaient de quelque culture intellectuelle. Mon père, qui avait des connaissances en astronomie, exprima de saines idées, qu’il termina par son éternel : « Que sais-je, enfin ? » Je produisis à mon tour l’opinion de notre voisin de l’observatoire, le grand Arago. L’oncle Victor affirma que les comètes ont une influence sur la qualité des vins et cita à l’appui une joyeuse histoire de cabaret. J’étais si content de cette conversation que je m’efforçai de la maintenir, à l’aide de mes plus fraîches lectures, par un long exposé de la constitution chimique de ces astres légers qui, répandus dans les espaces célestes sur des milliards de lieues, tiendraient dans une bouteille. Mon père, un peu surpris de mon éloquence, me