Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/169

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Je l’avais prévu, pensai-je, et dans mon angoisse (ô pauvre cœur humain !) ma première idée fut de remarquer la justesse de mes prévisions. Je dois dire que la réponse du capitaine fut du genre sublime. Il se campa le poing sur la hanche, toisa dédaigneusement M. de Lessay et dit :

— Napoléon, monsieur le vidame, eut une autre femme que Joséphine et que Marie-Louise. Cette compagne, vous ne la connaissez pas et moi je l’ai vue de près ; elle porte un manteau d’azur constellé d’étoiles, elle est couronnée de lauriers ; la croix d’honneur brille sur sa poitrine ; elle se nomme la Gloire.

M. de Lessay posa sa tasse sur la cheminée et dit tranquillement :

— Votre Buonaparte était un polisson.

Mon père se leva avec nonchalance, étendit lentement le bras et dit d’une voix très douce à M. de Lessay :

— Quel qu’ait été l’homme qui est mort à Saint-Hélène, j’ai travaillé dix ans dans son gouvernement et mon beau-frère fut blessé trois fois sous ses aigles. Je vous supplie, monsieur et ami, de ne plus l’oublier à l’avenir.

Ce que n’avaient pas fait les insolences sublimes