Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/170

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et burlesques du capitaine, la remontrance courtoise de mon père jeta M. de Lessay dans une colère furieuse.

— Je l’oubliais, s’écria-t-il, blême, les dents serrées, l’écume à la bouche. J’avais tort, la caque sent toujours le hareng et quand on a servi des coquins…

À ce mot, le capitaine lui sauta à la gorge. Il l’aurait, je crois, étranglé sans sa fille et sans moi.

Mon père, les bras croisés, un peu plus pâle qu’à l’ordinaire, regardait ce spectacle avec une indicible expression de pitié. Ce qui suivit fut plus lamentable encore, mais à quoi bon insister sur la folie de deux vieillards ? Enfin, je parvins à les séparer. M. de Lessay fit un signe à sa fille et sortit. Comme elle le suivait, je courus après elle dans l’escalier.

Mademoiselle lui dis-je, éperdu, en lui pressant la main, je vous aime ! je vous aime !

Elle garda une seconde ma main dans la sienne ; sa bouche s’entr’ouvrit. Qu’allait-elle dire ? Mais tout à coup, levant les yeux vers son père qui montait l’étage, elle retira sa main et me fit un geste d’adieu.

Je ne l’ai pas revue depuis. Son père alla se lo-