Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/176

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J’admirais depuis assez longtemps l’énergie avec laquelle mademoiselle Mouton avait accusé les sourcils en broussailles et les yeux irrités du guerrier antique, quand un bruit plus léger que celui d’une feuille morte qui glisse au vent me fit tourner la tête. En effet, ce n’était pas une feuille morte ; c’était mademoiselle Préfère. Les mains jointes, elle avançait sur le miroir du parquet comme les saintes de la Légende dorée sur le cristal des eaux. Mais en toute autre occasion mademoiselle Préfère ne m’aurait pas fait songer, je crois, aux vierges chères à la pensée mystique. À ne considérer que son visage, elle m’aurait plutôt rappelé une pomme de rainette conservée pendant l’hiver dans le grenier d’une sage ménagère. Elle avait sur les épaules une pèlerine à franges qui n’offrait par elle-même rien de considérable, mais qu’elle portait comme si c’eût été un vêtement sacerdotal ou l’insigne d’une haute fonction civile.

Je lui expliquai le but de ma visite et lui remit ma lettre d’introduction.

— Vous avez vu M. Mouche, me dit-elle. Sa santé est-elle aussi bonne que possible ? C’est un homme si honnête, si…