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Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/242

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et que j’avais autant de bonheur qu’en comportaient ma nature et ma destinée.

— Non ! vous n’êtes pas heureux, s’écria-t-elle ; il vous faudrait auprès de vous une âme capable de vous comprendre. Sortez de votre engourdissement, jetez les yeux autour de vous. Vous avez des relations étendues, de belles connaissances. On n’est pas membre de l’Institut sans fréquenter la société. Voyez, jugez, comparez. Une femme sensée ne vous refusera pas sa main. Je suis femme, monsieur : mon instinct ne me trompe pas ; il y a quelque chose là qui me dit que vous trouverez le bonheur dans le mariage. Les femmes sont si dévouées, si aimantes (pas toutes, sans doute, mais quelques-unes) ! Et puis elles sont sensibles à la gloire. Songez qu’à votre âge on a besoin comme Œdipe d’une Égérie. Votre cuisinière n’a plus de forces ; elle est sourde, elle est infirme ; s’il vous arrivait malheur la nuit ! Tenez, je frémis, rien que d’y penser !

Et elle frémissait réellement ; elle fermait les yeux, serrait les poings, trépignait. Mon abattement était extrême. Avec quelle formidable ardeur elle reprit :