Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/243

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— Votre santé ! votre chère santé ! La santé d’un membre de l’Institut. Je donnerais avec joie tout mon sang pour conserver les jours d’un savant, d’un littérateur, d’un homme de mérite. Et une femme qui n’en ferait pas autant, je la mépriserais. Tenez, monsieur, j’ai connu la femme d’un grand mathématicien, d’un homme qui faisait des cahiers entiers de calculs dont il remplissait toutes les armoires de sa maison. Il avait une maladie de cœur et il dépérissait à vue d’œil. Et je voyais sa femme, là, tranquille auprès de lui. Je n’ai pas pu y tenir, je lui ai dit un jour : « ma chère, vous n’avez pas de cœur. À votre place, je ferais… je ferais… Je ne sais pas ce que je ferais ! »

Elle s’arrêta épuisée. Ma situation était terrible. Dire nettement à mademoiselle Préfère ce que je pensais de ses conseils, il ne fallait pas y songer. Car me brouiller avec elle, c’était perdre Jeanne. Je pris donc la chose en douceur. D’ailleurs, elle était chez moi : cette considération m’aida à garder quelque courtoisie.

— Je suis très vieux, mademoiselle, lui répondis-je, et je crains bien que vos avis ne viennent un peu tard. J’y songerai toutefois. En