Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/276

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jeune tête passa à travers. Je la pris, je l’attirai à moi.

— Venez, Jeanne, venez.

Elle me regardait avec inquiétude. Certainement elle craignait que je ne fusse fou. Mais j’étais au contraire plein de sens.

— Venez, venez, mon enfant.

— Où ?

— Chez madame de Gabry.

Alors elle me prit le bras. Nous courûmes quelque temps comme des voleurs. Mais la course n’est pas ce qui convient à ma corpulence et, m’arrêtant à demi suffoqué, je m’appuyai à quelque chose qui se trouva être la poële d’un marchand de marrons établi au coin d’un débit de vin où buvaient des cochers. Un de ceux-ci nous demanda s’il ne nous fallait pas une voiture. Certes ! il nous en fallait une. L’homme au fouet, ayant posé son verre sur le comptoir d’étain, monta sur son siège et poussa son cheval en avant. Nous étions sauvés.

— Ouf ! m’écriai-je, en m’épongeant le front. Car, malgré le froid, je suais à grosses gouttes.

Ce qui est étrange, c’est que Jeanne semblait avoir plus que moi conscience de l’énormité que